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Nicolas Blancho, le spectre de l’islam radical en Suisse

(24heures.ch)- Nicolas Blancho est-il le Ben Laden suisse ou un «hurluberlu»? Sa personne et le Conseil central islamique suisse qu’il préside intriguent politiciens et médias. Samir Amghar est spécialiste du salafisme (mouvement défendant une lecture littérale de l’islam). Ce chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal et membre de l’Institut d’études de l’islam et du monde musulman à Paris perce les mystères du CCIS.

– Ce Conseil central islamique est-il une spécificité suisse?
–  La plupart de ses membres sont des convertis à l’islam. Une tendance qu’on retrouve en France, en Grande-Bretagne et en Belgique, où les convertis constituent le tiers, voire la moitié des salafistes. Mais alors qu’en France les salafistes suivent une logique de rupture avec la société et de repli sur la communauté, en Suisse, le CCIS alterne prise de parole publique et organisation de séminaires à l’intention des croyants.

– Quelles sont les influences de Nicolas Blancho?
–  Le CCIS est d’inspiration saoudienne. La grande majorité de ses dirigeants ont suivi un cursus dans une université islamique en Arabie saoudite auprès de théologiens salafistes, en bénéficiant de bourses d’études. Il faut dire que les convertis bénéficient de conditions d’admission simplifiées.

– Le phénomène salafiste est nouveau en Suisse, alors qu’il existe en France depuis vingt ans. Pourquoi ce décalage?
–  Le salafisme se développe dans des zones d’exclusion périurbaines, dans des banlieues et des ghettos de musulmans. Or, de telles banlieues n’existent pas en Suisse. Par ailleurs, la présence musulmane en Suisse est beaucoup plus récente qu’en France.

– Pourquoi émerge-t-il maintenant?
– C’est la conséquence directe de l’inefficacité des associations musulmanes traditionnelles lors de la votation sur les minarets. Ces organisations ont adopté un profil bas, de peur de provoquer un oui à l’interdiction. Mais leur stratégie a échoué. Le CCIS postule dès lors que le consensus politique n’est pas efficace et cherche à instaurer un rapport de force avec les autorités cantonales et fédérales. Il n’a toutefois pas vocation à représenter tous les musulmans de Suisse et incarne plutôt un courant minoritaire de l’islam de Suisse.

– Derrière le CCIS, faut-il voir la patte de l’Arabie saoudite?
–  Pas de façon directe. Le salafisme européen fonctionne de manière anarchique. Et il n’y a pas à ce jour de tentative de créer une structure à l’échelon international pour coordonner ces initiatives locales.

– Le CCIS pourrait-il être financé par l’Arabie saoudite?
–  D’abord, il ne faut pas sous-estimer les capacités de mobilisation financière des musulmans eux-mêmes. En outre, il est très difficile pour les salafistes européens de recevoir des fonds saoudiens. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, en effet, l’Arabie saoudite refuse de financer des organisations qu’elle ne connaît pas, de peur de verser de l’argent à des groupes terroristes dont la violence pourrait se retourner contre elle. Mais si le gouvernement saoudien ne débloque pas de fonds, il arrive que des mécènes le fassent à sa place. Est-ce le cas du CCIS? Il faudrait creuser.

– Quel but politique le CCIS poursuit-il? Veut-il instaurer la charia en Suisse, comme l’en soupçonnent ses détracteurs?
–  Ses membres sont convaincus que l’islam est la vérité, et rêvent de le développer. Mais ils sont conscients qu’ils ne peuvent pas l’imposer en Suisse. En cela, ils ne tiennent pas de double discours. Ils cherchent simplement à aménager des espaces d’autonomie, notamment à l’école, où l’identité islamique pourrait s’exprimer plus librement.

– Le CCIS constitue-t-il une menace pour la sécurité intérieure de la Suisse?
–  Ces mouvements ultracontesta­taires sont porteurs d’une radicalité religieuse, mais pas politique. Ils utilisent la démocratie pour défendre leur identité islamique et faire pression sur les autorités politiques. Mais ils s’inscrivent dans une posture de négociation avec l’Etat. Le mouvement est ainsi très critique par rapport au djihadisme, à la guerre sainte. Si j’étais responsable politique suisse, je favoriserais donc le développement du CCIS, qui est porteur de doléances de musulmans ne se sentant plus représentés par les organisations traditionnelles. A contrario, interdire leur organisation les rejetterait dans la clandestinité.

– La Confédération a-t-elle eu tort de ne pas inviter Nicolas Blancho au dialogue entamé avec les communautés musulmanes?
–  La posture d’Alard du Bois-Reymond est intéressante: il n’interdit pas le CCIS, mais ne l’invite pas à sa table. Il veut ainsi le faire évoluer vers l’acceptation des valeurs démocratiques.


Une idéologie certes extrême, mais pas d’indices de terrorisme

«Le Conseil central islamique suisse est peut-être une organisation extrême du point de vue de l’idéologie. Mais jusqu’ici, nous n’avons connaissance d’aucun élément de violence concrète, ni appel à la violence, ni préparation d’actions.» Leur chef de l’information, Felix Endrich, est formel: les services de renseignement de la Confédération n’ont actuellement aucun motif légal d’exercer une surveillance préventive de Nicolas Blancho et de ses collègues du CCIS. Vraiment? L’intéressé se croit épié, et, avec un brin de malice, invite même les policiers à pousser la porte du siège du CCIS, à Berne, et de la mosquée de Bienne qu’il fréquente régulièrement. La police cantonale bernoise refuse toutefois de dire si elle a anticipé son invitation pour le tenir à l’œil.

Le CCIS et Nicolas Blancho se sont en effet retrouvés liés à plusieurs affaires brumeuses. Un ancien associé de Blancho a ainsi été soupçonné d’avoir entretenu des liens avec un terroriste d’Al-Qaida. Mais il a été lavé de l’accusation de soutien à une organisation criminelle. En 2009, un homme fréquentant la même mosquée que Nicolas Blancho a été condamné pour possession de films d’Al-Qaida montrant des décapitations. En 2006, un autre pratiquant biennois est parti en Egypte intégrer un camp de formation pour jeunes islamistes radicaux, à l’instigation d’un proche de Nicolas Blancho.

Dans toutes ces affaires, le président du CCIS n’est jamais directement impliqué, mais il n’est jamais loin non plus. Sur son site internet, il se défend en condamnant explicitement le terrorisme. Chercheur à Harvard, spécialiste du salafisme, Lorenzo Vidino est tenté de le croire. «Le CCIS reste dans le cadre de la loi suisse. Mais des personnes suivant son message radical pourraient être tentées de passer à un niveau supérieur. Ce serait donc naïf de ne pas surveiller le CCIS. Non seulement du point de vue de la sécurité publique, mais aussi de la paix sociale.»


Des échanges, mais pas de réseaux

Le Conseil central islamique suisse fait-il partie d’un réseau islamiste? «Il n’y a pas d’internationale salafiste formelle, mais des connexions existent», analyse Lorenzo Vidino, chercheur à Harvard.

«Ces mouvements gardent une dimension essentiellement nationale, renchérit Samir Amghar. Ils sont fortement influencés à la fois par le contexte local et par la personnalité de leur leader. En plus, la Suisse romande est très marquée par les Frères musulmans, dont les Genevois Hani et Tariq Ramadan constituent les figures de proue. Le CCIS, implanté surtout en Suisse alémanique, se tourne vers l’Allemagne.»

Le CCIS a ainsi invité à deux reprises le sulfureux prédicateur allemand Pierre Vogel. En décembre dernier, l’Office fédéral des migrations avait refusé l’entrée en Suisse à l’ancien boxeur après qu’il eut fait l’apologie de la violence sur les femmes.

«Nous n’avons pas de liens avec Pierre Vogel», déclarait hier au Temps le responsable de l’information du CCIS, pour qui ces invitations étaient «surtout une question de marketing». En janvier, pourtant, le CCIS refusait de prendre ses distances avec Pierre Vogel. Or, son mouvement Invitation au paradis est accusé par les autorités du Land allemand de Basse-Saxe de propager «des valeurs fondamentalistes en contradiction avec la loi fondamentale allemande».

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