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Biographie de Mohammad

Il a fondé l’islam, qui compte aujourd’hui bien plus d’un demi-milliard d’adhérents et dont le rôle historique fut considérable. Sa biographie est loin d’expliquer à elle seule ce succès, mais contribue pour sa part à cette explication. Homme génial, issu d’une société en marge des grandes civilisations de l’époque, il sut forger une synthèse idéologique impressionnante, capable de séduire d’abord son pays natal, puis de s’imposer dans une vaste zone du globe. Il sut aussi employer des dons remarquables de chef politique et militaire à acquérir le contrôle de l’Arabie. Mystique (incomplet), profondément religieux, mais non pas pur homme de sainteté comme le Christ et le Bouddha, les faiblesses humaines de cette impressionnante personnalité ne font que rendre sa biographie plus attachante.

1. Les sources

Renan croyait que la vie de Mahomet, par opposition à celle de Jésus, s’était déroulée à la pleine lumière de l’histoire. C’est une illusion née du caractère très détaillé de la biographie traditionnelle. Mais l’étude critique de celle-ci a démontré que beaucoup des détails en question étaient suspects d’avoir été forgés dans des buts tendancieux (avec beaucoup d’art d’ailleurs), un ou deux siècles après l’événement. Il ne faut jamais oublier que les biographies du Prophète les plus anciennes que nous possédions datent du début du IXe siècle, soit deux siècles après les événements. Il est vrai qu’elles ont utilisé des compilations plus anciennes, elles-mêmes fondées sur des listes datées d’événements et de noms qui avaient été conservées par écrit ou de mémoire. Elles citent comme sources des traditions orales transmises depuis les événements par des chaînes (isnad) de garants. Mais nous n’avons aucune garantie de la fidélité de cette transmission ni même de sa réalité. On ne peut écarter entièrement ce que cette tradition écrite ou orale nous apporte, mais on ne peut non plus s’y fier aveuglément pour aucun détail concret, et les critères incontestables manquent pour faire le départ entre l’historique et le suspect.

Une source est sûrement authentique, c’est le Coran, qui est considéré comme le recueil des paroles de Dieu dictées à Mahomet. Mais son texte est en grand désordre. On ne peut y rétablir qu’avec peine et avec bien des incertitudes l’ordre chronologique. Les événements de la biographie du Prophète n’y sont évoqués que de façon allusive. C’est donc une source difficile à utiliser.

Les biographies classiques les plus anciennes sont celles d’Ibn Ishaq († env. 767), que nous ne connaissons que par l’adaptation abrégée d’un de ses élèves indirects, Ibn Hisham († env. 834) ; celle de Waqidi († 823), réduite au récit des campagnes du Prophète ; celle de son secrétaire Ibn Sa‘d († 845) ; enfin celle de l’historien compilateur Tabari († 923), qui utilise uniquement des écrits antérieurs. Occasionnellement, des renseignements de valeur anciens ont pu parvenir par intermédiaire jusqu’à des ouvrages postérieurs.

Une critique soigneuse des sources est nécessaire. Au minimum, les faits sur lesquels s’accordent des sources de tendances divergentes, même quand elles les interprètent différemment, les faits aussi qui contredisent les idées ultérieures doivent être considérés comme assurés. En essayant de comprendre les démarches d’où résultèrent ces événements, en utilisant le texte coranique qui, pour des non-musulmans, ne peut être que l’émanation inconsciente de l’intellect et de la sensibilité du Prophète, en tirant parti prudemment des informations de la tradition que leur accord avec le résultat de ces démarches peut plus ou moins authentifier, on peut aboutir à une représentation vraisemblable de la biographie et même de la psychologie de Mahomet.

2. Avant la Révélation

On sait très peu de choses sûres concernant la vie du Prophète avant la Révélation. C’est là-dessus que la tradition ultérieure a le plus brodé et fabulé. Elle place en général, mais il y a des variantes, sa naissance (à Mekka, que nous appelons La Mecque) en 571 de notre ère, suivant des calculs très douteux. Il est possible que la seule base sûre en soit l’indication qu’il était né du vivant de l’empereur perse Khosrô Ier, soit avant 579. Son nom Muhammad (« le loué ») était assez courant. Il était fils d’un nommé ‘Abd Allah et d’une mère appelée Amina.

‘Abd Allah appartenait à la tribu de Quraysh, spécialisée dans le commerce international, qui habitait la ville de Mekka, située dans une vallée aride impropre à l’agriculture. Cette ville ne subsistait que grâce à ce commerce et aux profits découlant du pèlerinage à son temple local. Des pèlerins nombreux y affluaient et commerçaient par la même occasion. On vénérait, au centre du temple, un bâtiment plus ou moins cubique, la Ka‘ba, où étaient rassemblées de nombreuses idoles et encastrée une pierre noire d’origine météorique, supposée réceptacle du divin comme c’était souvent le cas chez les Sémites.

Muhammad perdit son père et sa mère peu après sa naissance. Il appartenait au clan de Hashim qui aurait eu auparavant la prédominance à Mekka, mais qui l’aurait perdue du temps de sa jeunesse. Orphelin peu fortuné, il fut recueilli par son grand-père, ‘Abd al-Muttalib, puis par un oncle, commerçant aisé, Abu Talib. Celui-ci l’aurait emmené avec lui dans ses voyages d’affaires, notamment en Syrie. Mais ces voyages ont été tellement ornés de légendes par la tradition qu’on ne peut savoir si le fait lui-même est exact.

De toute façon, Muhammad était un orphelin pauvre et devait travailler. Il aurait, tout jeune, gardé les moutons. Il fut, plus tard, embauché par une riche commerçante, une veuve, Khadidja, qui, comme beaucoup de Mekkois, organisait des caravanes. Il aurait accompagné ses caravanes, jusqu’en Syrie peut-être, et aurait été son homme de confiance pour diverses affaires. Devenue amoureuse de lui, elle lui proposa le mariage. Il accepta quoiqu’elle eût, dit-on, quarante ans et lui vingt-cinq. Elle lui donna des filles au nombre de quatre, mais tous les fils qu’il en eut moururent en bas âge. Muhammad devint ainsi un homme aisé et même un notable considéré. Il adopta son cousin ‘Ali, fils de l’oncle Abu Talib et un esclave que lui avait donné Khadidja et qu’il affranchit, Zayd, de la tribu arabe des Kalb, en grande partie chrétienne.

Le non-musulman peut essayer de comprendre, en utilisant les sources selon la démarche indiquée ci-dessus, les conditions psychologiques qui préparèrent la Révélation. Si Muhammad fut un homme intelligent, mesuré, équilibré et très réaliste, il n’en était pas moins doté d’un tempérament nerveux, passionné, fiévreux, plein d’aspirations ardentes.

Ce côté de sa personnalité dut être accentué dans sa jeunesse par des insatisfactions multiples. Il avait été pauvre et rendu sensible par là à la détresse des pauvres ; son mariage exclusif avec une femme âgée devait entraîner des frustrations au milieu d’une société où les notables utilisaient largement la polygamie ; il était déçu de ne pas avoir de descendance mâle, ce qui était une honte pour les Arabes. Enfin les vues amples et profondes qu’il avait sur le monde et les affaires humaines ne rencontraient qu’incompréhension et mépris de la part des hommes installés à la direction de la cité.

Insatisfait de sa situation dans le monde, on s’explique qu’il ait regardé d’un Å“il critique l’idéologie que lui proposait sa société. L’évolution récente des conditions politiques, économiques et sociales de l’Arabie, surtout sensible dans sa ville natale, provoquait chez bien des esprits une sévère contestation. Cette évolution accentuait le rôle de l’argent et sapait l’équilibre social avec les valeurs tribales et communautaires qui lui étaient liées. On remettait en question la religion polythéiste traditionnelle, peu satisfaisante pour les aspirations nouvelles, ainsi que la conception matérialiste brutale du monde qui dominait chez les marchands mekkois. Les tendances monothéistes, les pratiques et les idées que diffusaient en Arabie juifs, chrétiens et même mazdéens attiraient une large sympathie. Elles étaient auréolées du prestige de la « civilisation » supérieure des grandes puissances voisines où elles étaient en honneur. Mais l’affiliation pure et simple à une des religions en question impliquait une prise de parti politique pour la puissance dont elle était la doctrine officielle ou qui la protégeait, ce qui en écartait certains des sympathisants arabes.

Muhammad s’instruisit de ces doctrines en interrogeant à Mekka les chrétiens qui y étaient en petit nombre, pauvres et de peu d’instruction, les juifs peu nombreux aussi, mais qui disposaient dans la région de centres puissants, riches, organisés, avec des intellectuels savants. Il apprit sur l’histoire biblique bien des choses, non sans déformations, soit par suite de malentendus, soit parce que ses interlocuteurs étaient eux-mêmes peu instruits ou appartenaient à des sectes aberrantes.

3. La secte mekkoise

Muhammad prit l’habitude de faire des retraites, à l’instar des ascètes chrétiens et de leurs imitateurs arabes, dans une caverne d’une montagne proche. Il y méditait en s’y livrant à des pratiques d’ascétisme. Un jour, vers l’an 610, il eut une vision « comme le surgissement de l’aube », il entendit une voix, il vit, selon la tradition, l’archange Gabriel (Djibril en arabe) qui lui transmettait des paroles de Dieu.

D’abord effrayé, suspectant un piège de Satan, il s’habitua peu à peu à recevoir ces paroles, il les répéta à son entourage et, plus tard, les dicta à un secrétaire. C’est leur notation écrite, plus tard mise en ordre, qui devait former le Coran (en arabe qur’an, « récitation »). On a pu reconstituer plus ou moins la chronologie des révélations (sans aucun rapport avec l’ordre canonique du livre tel qu’on l’édita plus tard). Au début, en un langage saccadé, sonore, ardent, la voix d’En-Haut dénonçait surtout les riches et les puissants, les marchands mekkois fiers de leurs fortunes, avides d’en jouir. On les adjure de se soumettre au Créateur unique et tout-puissant, Allah, qui leur demandera des comptes au jour terrible du jugement. Ils devront suivre les conseils du modeste « avertisseur » qu’est Muhammad, se montrer humbles et justes, donner une part de leurs biens aux pauvres et aux orphelins.

L’appel de Muhammad convainquit d’abord sa maisonnée et quelques amis, puis d’autres Mekkois de condition modeste, parmi les frustrés, les humiliés, avec aussi des jeunes animés d’un esprit de révolte contre leur milieu. Autour de lui se forma une petite secte se livrant à des pratiques de piété, suscitant l’ironie, le mépris ou parfois la compassion.

Le passage à l’hostilité déclarée semble avoir suivi une tentative (ou une apparence de tentative) faite par Muhammad, inconsciemment semble-t-il, pour regagner l’estime de ses concitoyens en accordant quelque place à des divinités locales à côté d’Allah (littéralement « la divinité ») que les Arabes reconnaissaient déjà comme un dieu parmi d’autres. Sa rétractation après cette tentative parut une déclaration de guerre aux dieux, au sanctuaire, aux valeurs et aux intérêts de la cité. Il se posait en seul interprète autorisé des volontés divines, prétention dangereuse même sur le plan temporel.

Une persécution suivit qui frappa surtout les faibles de la secte, alors que les membres importants (dont Muhammad lui-même) étaient protégés par leurs clans, même opposés à leurs idées. La pensée du Prophète se développait. Les révélations insistaient maintenant dans un style narratif et plus calme sur les récits bibliques. L’accent était mis sur les prophètes du passé qui avaient été méconnus par les leurs, les gens importants de leur peuple. Le groupe était désigné du nom de musulmans (en arabe muslimun, « ceux qui remettent leur âme à Allah »). Il se distinguait par la pratique de la salat, « prière rituelle », en fait ensemble fixé de prosternations, d’inclinations et d’invocations que le croyant accomplit plusieurs fois par jour en hommage au Créateur en se tournant vers Jérusalem selon la coutume juive et chrétienne.

Certains fidèles émigrèrent en Éthiopie chrétienne où ils furent bien accueillis. On pressentait peut-être une catastrophe cosmique, aube des derniers jours. Les événements mondiaux qui rappelaient des prophéties anciennes impressionnaient les esprits. Les Perses avaient envahi l’Empire romain d’Orient, prenaient la ville sainte de Jérusalem (614) et menaçaient Constantinople.

En 619 moururent coup sur coup deux protecteurs de Muhammad : son oncle Abu Talib et sa femme-mère Khadidja. Abu Talib fut remplacé à la tête du clan de Hashim par un autre oncle, Abu Lahab, très mal disposé pour son neveu.

Muhammad chercha un refuge. Après plusieurs essais sans résultat, il entra en contact avec des habitants de Yathrib, une oasis située à environ 350 kilomètres au nord-ouest de Mekka, qu’on appelait aussi Médine (al-Madina, « la ville »). Deux tribus arabes, les Aws et les Khazradj, s’y combattaient sans arrêt avec l’appoint fluctuant de trois tribus juives qui y avaient établi un centre intellectuel important. Ces luttes continuelles faisaient tort à la culture des palmeraies et des champs dont tous tiraient leur subsistance. Des mandataires des deux tribus arabes conclurent un accord avec Muhammad. On l’accueillerait à Médine et il y rétablirait la paix, jouant un rôle d’arbitre inspiré de Dieu dans les disputes tribales.

Les fidèles mekkois (environ soixante-dix hommes et femmes) partirent pour Médine. Les derniers, Muhammad et son conseiller préféré Abu Bakr, partirent en cachette, arrivant à Médine le 24 septembre 622. C’est l’année de l’hégire (hidjra, « émigration » et non « fuite »).

4. L’État de Médine

Muhammad révéla à Médine des qualités insoupçonnées de dirigeant politique et de chef militaire. Il devait subvenir aux ressources de la nouvelle communauté (umma) que formaient les émigrés (muhadjirun) mekkois et les « auxiliaires » (ansar) médinois qui se joignaient à eux. Il recourut à la guerre privée, institution courante en Arabie où la notion d’État était inconnue. Muhammad envoya bientôt des petits groupes de ses partisans attaquer les caravanes mekkoises, punissant ainsi ses incrédules compatriotes et du même coup acquérant un riche butin. En mars 624, il remporta devant les puits de Badr une grande victoire sur une colonne mekkoise venue à la rescousse d’une caravane en danger. Cela parut à Muhammad une marque évidente de la faveur d’Allah.

Elle l’encouragea sans doute à la rupture avec les juifs, qui se fit peu à peu. Le Prophète avait pensé trouver auprès d’eux un accueil sympathique, car sa doctrine monothéiste lui semblait très proche de la leur. La charte précisant les droits et devoirs de chacun à Médine, conclue au moment de son arrivée, accordait une place aux tribus juives dans la communauté médinoise. Les musulmans jeûnaient le jour de la fête juive de l’Expiation. Mais la plupart des juifs médinois ne se rallièrent pas. Ils critiquèrent au contraire les anachronismes du Coran, la façon dont il déformait les récits bibliques. Aussi Muhammad se détourna-t-il d’eux. Le jeûne fut fixé au mois de ramadan, le mois de la victoire de Badr, et l’on cessa de se tourner vers Jérusalem pour prier.

L’activité de Muhammad suscitait, au fur et à mesure qu’elle s’affirmait plus indépendante, l’opposition non seulement des païens et des juifs, mais aussi celle de Médinois qui avaient accepté la validité de ses révélations. Derrière leur chef de file, Ibn Ubayy, ces gens, qu’il appelait les Douteurs ou les Hypocrites, multipliaient les objections à ses actes, les réticences sur son pouvoir grandissant, critiquaient les émigrés mekkois musulmans. Muhammad supprima peu à peu les appuis de cette opposition.

Peu après Badr, des poètes médinois païens qui avaient injurié le Prophète furent assassinés, et le clan juif de Qaynuqa‘, à la suite d’une querelle engagée sur un motif trivial, fut expulsé de Médine et ses biens confisqués.

En mars 625, devant la colline d’Uhud aux portes de Médine, une armée mekkoise prenait la revanche de Badr. Mais les Mekkois n’exploitèrent pas leur succès. Muhammad expulsa alors encore une tribu juive de Médine, les Nadir, soupçonnés de mauvais desseins. Ils purent emporter beaucoup de leurs biens. Un dernier effort fut tenté par les Mekkois sous le commandement du subtil Abu Sufyan du clan umayyade. Trois armées convergèrent sur Médine. Muhammad recourut à une innovation militaire, inconnue dans cette partie de l’Arabie, le creusement d’un fossé pour arrêter les assaillants. Ceux-ci, mal préparés pour un siège, finirent par partir. Muhammad profita de ce succès pour éliminer de Médine, en la faisant massacrer, la dernière tribu juive qui y restait, les Qurayza, qu’il accusait d’un comportement suspect. Son pouvoir était définitivement consolidé. Il semblait invincible.

Pendant ce temps, ses idées avaient évolué, et la religion qu’il prêchait s’était nettement arabisée. Il se rattache directement à Abraham (Ibrahim), dont il a découvert qu’il était l’ancêtre des Arabes par Ismaël (Isma‘il) aussi bien que des juifs, qu’il n’était ni juif ni chrétien, mais comme lui un monothéiste pur. Il s’agit pour les Arabes de retrouver cette foi, non de s’aligner sur les religions étrangères. À Ismaël et à son père se trouve attribuée la fondation de la Ka‘ba, l’énigmatique maison située au centre du sanctuaire mekkois. Les générations postérieures sont accusées de l’avoir défigurée en y introduisant des idoles. La prière doit s’orienter maintenant vers la Ka‘ba, qu’on espère libérer et épurer. La Révélation prend des positions nettement antijuives, en insistant sur la personne de Jésus, grand prophète né d’une vierge, mais non pas Dieu. Les juifs sont accusés d’avoir calomnié sa mère et voulu le tuer, mais en vain car un fantôme lui fut substitué sur la croix (emprunt à l’hérésie docétiste).

Muhammad est devenu un véritable chef d’État grâce à son prestige religieux et à la force de ses disciples armés. La nouvelle communauté est pourvue par la Révélation de dispositions juridiques, par exemple sur les peines et les successions. La richesse du Prophète s’accroît par des dons et par sa perception du cinquième du butin. Il finit aussi par exiger des tribus vaincues des contributions régulières. Des pactes sont conclus avec de multiples tribus arabes qui, en même temps, font acte d’adhésion, souvent du bout des lèvres, à l’islam. Peu à peu se constitue, plutôt qu’un véritable État, toute une zone d’influence que Muhammad domine par des moyens surtout diplomatiques. Elle embrasse bientôt toute l’Arabie.

Muhammad cherche surtout à attaquer obliquement sa ville natale et à l’isoler. Abu Sufyan et les Mekkois d’esprit politique comprirent bientôt qu’ils avaient intérêt à s’entendre avec lui, maintenant qu’il accordait une grande place à leur sanctuaire. En mars 628, il se présenta devant Mekka avec une troupe non armée pour faire le pèlerinage. Un pacte fut conclu remettant celui-ci à l’année suivante, mais stipulant une trêve de dix ans. En janvier 630 enfin, les armées musulmanes occupaient la ville à peu près sans opposition. Les derniers adversaires se ralliaient, recevant en récompense de grosses parts de butin et de hautes fonctions.

Toute l’Arabie entrait rapidement dans ce quasi-État médinois, le système dirigé par Muhammad qui, imposant la cessation des razzias entre tribus, contraignait à chercher ailleurs de nouvelles ressources. Des expéditions furent lancées sur les marches byzantines de Palestine, sans grand résultat.

Muhammad mourut de façon inattendue, après une courte maladie, le 8 juin 632 à Médine. Ses conseillers surent prendre en main sa communauté et empêcher la désagrégation et l’effondrement qu’on put craindre un moment.

5. La personnalité et le rôle de Mahomet dans l’islam

Si le développement postérieur de l’islam est dû aux circonstances (pour ceux qui n’y voient pas la main de Dieu), une part importante de son succès vient néanmoins du génie de Muhammad. On peut le créditer d’une grande intelligence, d’une habileté et d’une ténacité remarquables, d’un sens très fin des hommes et des situations. Au début, une flamme ardente l’emporte, l’indignation le brûle et s’exprime en une véhémente poésie. Certes, le succès le gâta quelque peu, il en vint à croire un peu trop facilement à des inspirations qui satisfaisaient ses penchants naturels. Mais il n’y a pas de raison majeure de mettre en doute sa sincérité jusqu’au bout. Il faut tenir compte des mÅ“urs du temps et de son pays pour juger certains de ses actes, atroces ou quelque peu hypocrites (encore qu’ils semblent avoir suscité quelque réprobation à l’époque même). On voit là surtout la dégradation habituelle de la mystique (car ce fut une grande personnalité religieuse) en politique, avec toutes les suggestions pernicieuses de la raison d’État. Il montra, en bien des cas, de la clémence, de la longanimité, de la largeur de vues et fut souvent exigeant envers lui-même. Ses lois furent sages, libérales (notamment vis-à-vis des femmes), progressives par rapport à son milieu.

Sa vie privée influa sur ses déterminations et même sur ses idées. Après la mort de Khadidja, il épousa une veuve, bonne ménagère, Sawda, et aussi la petite ‘A’isha, fille d’Abu Bakr, qui avait à peine une dizaine d’années. Ses penchants érotiques, longtemps contenus, devaient lui faire contracter concurremment une dizaine de mariages. Cela n’alla pas sans jalousies, intrigues et parfois scandales avec d’opportunes interventions d’Allah. Le groupe constitué par sa fille Fatima et ‘Ali, qui épousa celle-ci (ils lui donnèrent deux petits-fils, Hasan et Husayn), était hostile à celui que formaient deux des coépouses du Prophète et leurs pères Abu Bakr et ‘Umar, conseillers de celui-ci. Cette rivalité devait avoir de graves conséquences plus tard.

La glorification de Muhammad devait aller croissant après sa mort. Symbole de l’unité de la nouvelle foi, il se vit attribuer des charismes de plus en plus éminents, en particulier pour le placer au moins à égalité avec les fondateurs des autres religions. Certaines sectes allèrent jusqu’à le déifier. Un véritable culte s’organisa autour de sa personne et ses reliques furent particulièrement vénérées. Encore aujourd’hui, si on n’applique plus comme autrefois la peine de mort à l’encontre de ses insulteurs, il reste impossible de manquer de respect envers sa mémoire (ou de paraître en manquer) dans les pays musulmans.

Maxime RODINSON

T. ANDRAE, Mahomet, sa vie et sa doctrine, Paris, 1945

R. BLACHÈRE, Le Problème de Mahomet, Albin Michel, Paris, 1952

M. GAUDEFROY-DEMOMBYNES, Mahomet, Paris, 1957

M. RODINSON, Mahomet, Seuil, Paris, 1961, 2e éd., 1968 ; « Bilan des études mohammadiennes », in Rev. hist., t. CCXXIX, fasc. 465, janv.-mars 1963

W. M. WATT, Mahomet à La Mecque (Muhammad at Mecca, 1953), Préf. M. Rodinson, trad. F. Dourveil, Payot, Paris, 1958 ; Mahomet à Médine (Muhammad at Medina, 1956), trad. S. M. Guillemin & F. Vaudou, ibid., 1959.

© Encyclopædia Universalis

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