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Islam et laïcité

Penser l’islam dans la laïcité. Les musulmans de France et la République, de Franck Fregosi. Éditions Fayard, 2008, 500 pages, 22 euros.

C’est d’une excellente idée que part ce directeur de recherches au CNRS. Aucune religion, pas plus le christianisme et le judaïsme hier que l’islam aujourd’hui, n’accepte facilement de se voir dessaisie

de son influence politique et sociale héritée du passé. Face au processus de sécularisation des sociétés et de séparation du politique et du religieux, l’islam doit s’adapter à la laïcité, en France comme dans le monde arabe, et il commence déjà à le faire en dépit d’incompréhensions. L’auteur entend rompre avec

les caricatures qui font des musulmans une cinquième colonne menaçant la laïcité ou qui exigent qu’ils renoncent à leur religion pour obtenir un brevet de civisme. Par un retour sur l’histoire, il avance que le Prophète n’était qu’un prophète, que le califat n’avait aucun fondement religieux, que rien dans l’islam ne peut justifier la politisation de la religion sinon des contresens sur la nature du djihad et une lecture erronée de l’indivision de l’autorité religieuse et du pouvoir séculier. L’intérêt principal du livre est de montrer la rencontre à l’oeuvre entre les musulmans de France et la laïcité au travers de mutations religieuses et sociales qui témoignent d’une grande pluralité des appartenances à l’islam. L’auteur analyse avec finesse la diversité, voire la disparité, des niveaux d’observance culturelle

et de pratique religieuse : il distingue des pratiquants ethniques, des dévots piétistes, des puritains rigoristes, des convertis fidéistes ou pragmatiques ainsi que des musulmans libéraux ou « engagés » pour ne pas dire islamistes ; il souligne la pluralité des modes d’identification religieuse depuis l’islam visible et ritualiste des croyants pieux jusqu’à l’islam culturel et festif des croyants non pratiquants sans oublier l’islam minimaliste des ex-musulmans. Autant de clés pour comprendre les tensions qui traversent leur quotidien tiraillé entre confessionnalisme et sécularisation. Cependant l’ouvrage inquiète dans ses propositions. Sous prétexte de faciliter « l’hybridation » entre laïcité et islam, l’auteur propose un « métissage » des deux : si les musulmans doivent accepter des « accommodements raisonnables entre la lettre de la foi et la réalité sociale », l’auteur estime que « le droit français peut composer avec des dispositions du droit musulman » (page 420). L’acculturation juridique des musulmans supposerait l’adaptation de certaines pratiques coutumières

en matière de mariage, de polygamie, de répudiation, d’héritage ! L’auteur promeut ainsi la convention franco-marocaine de 1981 qui permet aux Marocains

de bénéficier en France d’un statut personnel national musulman que la Belgique a refusé d’appliquer en 1991 après enquête sur le sort des femmes immigrées. Réduisant la laïcité à une « philosophie », voire à une « idéologie laïciste », Frégosi se réclame d’une « laïcité juridique qui aménage les relations entre les cultes

et l’État davantage qu’elle n’organise une stricte séparation » (page 456). Voilà où pourrait mener

une laïcité « positive » !

Jean-Paul Scot, historien, L’Humanité, 01/07/2008

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